3 questions à la compositrice Betsy Jolas
10 juillet 2023La compositrice franco-américaine Betsy Jolas, née en 1926, a reçu commande d’une nouvelle œuvre intitulée "Ces belles années" à l’occasion du 75e anniversaire du festival d'Aix-en-Provence. L'œuvre a été créée à Londres en juin de cette année, en collaboration avec la Turangalîla Symphony d'Olivier Messiaen, sous la direction de Simon Rattle. Avant le concert, Betsy Jolas a trouvé le temps de répondre à nos trois questions.
(Réponses éditées pour des raisons de longueur. Pour la version complète, écoutez l'interview audio.)
Q : Pouvez-vous nous raconter l'histoire de "Ces belles années" ?
R : Je dois vous dire que je pensais que mon avant-dernière pièce serait ma dernière œuvre pour orchestre. Mais il semblerait que les gens se demandent si je ne vais pas disparaître à tout moment et s'ils doivent se dépêcher de me commander quelque chose avant que je ne m’en aille [elle rit].
C'est alors que j'ai reçu un message de Simon Rattle, avec qui j'avais déjà travaillé. Il avait appris que le Festival d'Aix-en-Provence fêtait ses 75 ans en 2023. Il m'a dit : « Que diriez-vous de composer une nouvelle pièce ? » Je n'ai pas pu refuser.
J'ai commencé à réfléchir et me suis rendu compte que j'avais assisté au tout premier festival en 1948, et là, tous les souvenirs me sont revenus. Je me souviens qu’il y avait eu "Così fan tutte" sous la direction de Hans Rosbaud, au Théâtre de l'Archevêché. Ensuite, je suis revenue plusieurs fois, surtout pour des opéras de Mozart, mais ma musique aussi a été jouée. Ils ont donné mon Quatuor II, avec la soprano colorature Mady Mesplé. Plus tard, j'ai également été invitée pour d'autres pièces de musique de chambre.
Finalement, tous ces souvenirs se sont réunis dans mon esprit. La nouvelle pièce est une version contournée de l’air « Joyeux anniversaire ». J'ai conservé le profil de la célèbre mélodie sans les notes, mais on la reconnaît parfois. Ensuite, j'ai essayé d'évoquer mes souvenirs des opéras de Mozart et l'idée m'est venue de placer une voix de soprano à la fin. J'ai appelé cette voix « l'ange messager ». Elle arrive pour appeler tout le monde à la fête, en disant : « Tu viendras aussi ». C'est en français : « Et toi, le tout petit, tu viendras aussi ».
Vous avez été l'élève de Messiaen, puis son assistante, puis vous lui avez succédé au Conservatoire de Paris ! Pouvez-vous nous en dire plus ?
Lorsque je suis entrée au Conservatoire, Messiaen n'était pas professeur de composition, mais d'analyse musicale. Sa classe était liée à celle de Darius Milhaud. En d'autres termes, si vous suiviez l’enseignement de Milhaud, vous deviez également suivre celui de Messiaen, pour lequel il avait acquis une immense renommée. Le monde entier était là, des gens de partout.
Lorsque j'ai quitté le Conservatoire, j'ai obtenu une première mention, c'est-à-dire la meilleure note en analyse musicale. Mais je n'ai pas eu une très bonne note en composition. J'ai eu la chance de recevoir immédiatement des commandes de musique de film et de musique de scène. C'est une excellente façon d'apprendre à orchestrer. J'ai également rencontré des musiciens. Pour ma première musique de film, j'avais Jean-Pierre Rampal à la flûte, Lily Laskine à la harpe et Serge Collot à l'alto. Mes instrumentistes étaient tous de cette qualité. Ma musique sonnait donc très bien ! Ce qui n'était pas le cas au Conservatoire, parce que là, à l'époque, juste après la guerre, on détestait la musique moderne. Et on la jouait aussi mal que possible. Les choses ont bien changé [depuis], heureusement.
Un peu plus tard, j'ai posé ma candidature pour un poste de professeur au Conservatoire. J'ai appelé Messiaen et je lui ai dit que je voulais postuler. Il m'a dit : « Oh, vous êtes celle qu’il nous faut, je voterai pour vous. » Je me suis donc dit que j'allais avoir le poste. Malheureusement, le jour du vote, Messiaen n'était pas là.
Il s’est passé alors quelque chose d’extraordinaire. Je suis allé à l'un des concerts de Boulez et Messiaen y assistait également. Il m'a dit : « Vous savez, vous auriez dû être nommée ! C'est dommage... Je regrette tellement de ne pas avoir été là. » Puis il m’a dit : « Pour me faire pardonner, accepteriez-vous de me remplacer lorsque je partirai en tournée ? » J'ai cru rêver.
Pendant de nombreuses années, vous avez été responsable de la programmation radio. Quel impact cela a-t-il eu sur votre carrière ?
Cela a été une chance. Faire de la programmation pour la radio était très important pour moi, car ainsi j’ai pu découvrir des œuvres que je ne connaissais pas. J'avais accès à la médiathèque. Je pouvais choisir n'importe quel disque. J'ai appris à faire un programme de concert, car l'une de mes tâches était de remplacer les programmateurs lorsqu'ils partaient en vacances. Je me souviens de certains programmes élaborés au nom d'un très grand chef d'orchestre, qui était malade. Tous ses amis devaient écrire anonymement le texte du programme. Il s'agissait de Désormière, qui avait dirigé une œuvre célèbre de Pierre Boulez, "Le Soleil des eaux". C'était très intéressant pour moi de rencontrer tous ces gens. C'est ainsi que j'ai rencontré Boulez !
Cet entretien a été réalisé le 14 juin 2023 par Anna Schauder (Diaphonique), avec la collaboration de Mario de Sa (LSO).
Offre d'échange MUS
La création mondiale de "Ces belles années", œuvre composée par Betsy Jolas (commande conjointe du London Symphony Orchestra, du Festival d'Aix-en-Provence et de l’Orchestre de Cleveland), a eu lieu le 15 juin 2023 au Barbican Hall de Londres. Le London Symphony Orchestra était placé sous la direction de Simon Rattle, avec la soprano Faustine de Monès. Le concert, offert par la BBC, est disponible sur MUS sous EURO/2022-2023/PC3/028. L'œuvre sera au programme du Festival d'Aix-en-Provence le 14 juillet.