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Initiative SRG SSR : non à l'autogoal

27 novembre 2023
Initiative SRG SSR : non à l'autogoal

Cet article a été initialement publié, le 23 novembre 2023, dans le journal Le Temps.

 

Affaiblir massivement le service public ne profitera pas aux médias privés, et pénalisera le pays dans un contexte informationnel toujours plus confus, répond le directeur général de la SRG SSR, Gilles Marchand, aux défenseurs de l'initiative "200 francs, ça suffit"

Cinq ans après avoir rejeté sans appel (71%) l'initiative "No Billag" qui voulait détruire la SRG SSR, la Suisse va se replonger dans l'examen du financement de son service public audiovisuel. Ces débats sont légitimes et certainement utiles. Surtout s'ils contribuent à améliorer encore et toujours les prestations proposées au public.

Mais pour être utiles, ces échanges doivent s'inscrire dans la réalité. Il est irresponsable de théoriser sans préciser les enjeux, qui sont considérables. Il s'agit de la capacité d'informer, de produire des contenus originaux ancrés dans nos diversités culturelles, sans oublier les savoir-faire et la question des emplois, souvent très spécialisés.

Or, que constate-t-on en ce moment? Une situation de plus en plus précaire dans toute la branche des médias suisses. Les recettes publicitaires fondent comme neige au soleil, émigrent sur des plateformes de streaming internationales qui réinvestissent peu en Suisse. Par ailleurs, il est de plus en plus difficile de vendre des contenus. Enfin, les réseaux sociaux attisent les colères ponctuelles et anonymes dans des flux qui ne distinguent plus le vrai du faux, alors que nul ne sait où va nous conduire le déferlement de l'intelligence artificielle.

C'est dans ce contexte très compliqué que l'initiative "200 francs, ça suffit" veut couper en deux la SRG SSR. Oui, il s'agit bien de diviser ses ressources de moitié: 135 francs de redevance en moins représentent 500 millions, auxquels il faut ajouter la suppression de la redevance des entreprises exigée par le texte, mais aussi l'impact sur les recettes publicitaires, la diminution des programmes entraînant celle de la publicité. Au total, les pertes représenteraient 760 millions, soit 50% du budget de la SRG SSR qui est de 1540 millions. Quelle entreprise ou quel service de l'Etat pourrait assurer ses prestations dans une telle situation?

Le Conseil fédéral a d'ailleurs annoncé qu'il rejetait l'initiative: c'est une bonne nouvelle. Mais les coupes qu'il propose sont douloureuses et auraient un impact important sur les programmes et le personnel, tout comme sur la structure très décentralisée de la SRG SSR. Baisser la redevance des ménages, exonérer un nombre plus important d'entreprises, supprimer la compensation du renchérissement, les mesures envisagées représentent 170 millions. A cela s'ajoute la poursuite du déclin des recettes commerciales. Finalement, la SRG SSR perdrait 240 millions, ce qui signifierait 900 postes de travail supprimés, mais aussi une diminution de l'offre dans l'actualité, le sport et la culture.

Il est évident qu'un affaiblissement massif du service public ne profitera pas aux médias privés suisses. La concurrence est internationale. D'autant plus que la SRG SSR n'a pas d'activité commerciale sur le "online". Alors, est-ce l'intérêt commun de centraliser toute la production de la SRG SSR dans un seul studio, vraisemblablement alémanique? Est-ce vraiment utile de raboter la coproduction de films qui racontent notre diversité culturelle et nos réalités sociales? Est-ce positif de ne plus pouvoir assurer la production en Suisse de grands évènements sportifs, qui exigent des capacités techniques très élevées? Est-ce pertinent enfin de détruire tout un écosystème privé, tout un tissu de sociétés de production, de techniciens, d'artistes, qui collaborent chaque jour avec le service public?

Poser franchement ces questions importantes n'est en rien présomptueux, comme semble le penser Mathias Muller dans les colonnes du Temps. C'est au contraire afficher les vrais termes du débat. Il est facile de casser une institution, beaucoup moins de la reconstruire, surtout dans un petit pays plurilingue, dont les régions ont une force démographique et économique bien différente.

Bien sûr, toute organisation doit revoir régulièrement ses prestations et son efficience. Ce principe concerne aussi la SRG SSR. Nous avons pris des engagements en 2018, et nous les avons tenus, quitte d'ailleurs à générer des déceptions. Nous avons déjà coupé 100 millions de francs, réinvesti des moyens dans les offres destinées au jeune public, développé nos engagements dans la coproduction de films suisses. Nous cultivons le débat entre citoyennes et citoyens, toutes langues et régions confondues. Nous assurons, avec d'autres, une couverture de la vie politique nationale et régionale, reconnue pour son équilibre et son professionnalisme.

Alors, oui, je crois qu'un démantèlement brutal du service public audiovisuel affaiblirait massivement la capacité du pays à tisser la trame de son récit, à faire entendre sa voix et montrer ses talents, sur la scène internationale aussi. C'est pourquoi je suis persuadé qu'au terme d'une réflexion objective intégrant ses conséquences réelles, la Suisse rejettera cette initiative contreproductive.

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Gilles Marchand

Directeur général SSR SRG

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