Si elle est adoptée, la proposition de la Commission européenne concernant une directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CDDD) obligerait les entreprises à mettre en place des procédures liées au devoir de vigilance (ou « diligence raisonnable ») pour pallier les effets négatifs de leurs activités sur les droits humains et l’environnement, et ce, tout au long de leurs chaînes de valeur. Le but est de favoriser un comportement durable et responsable et d’engager une réflexion sur la durabilité au sein des opérations et de la gouvernance des entreprises.
La directive s’inscrit dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe — une série d’initiatives politiques de la Commission européenne dont l’objectif principal est de rendre les politiques de l’UE en matière de climat, d’énergie, de transport et de fiscalité aptes à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030, par rapport aux niveaux de 1990, et à assurer la neutralité climatique d’ici à 2050. Avec les réglementations existantes et d’autres initiatives telles que la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) ou le règlement européen sur la classification des activités durables, la directive CSDDD constitue un pas supplémentaire vers une gestion durable des entreprises dans des conditions européennes uniformes.
La directive impose différentes obligations aux différents types d’entreprises. Toutes les entreprises entrant dans son champ d’application devront mettre en œuvre des mesures de vigilance afin de répertorier, faire cesser, prévenir et atténuer les incidences négatives de leurs activités sur les droits humains et l’environnement, et d’en rendre compte. Par exemple, le devoir de vigilance supposerait l’élaboration et la mise en œuvre de « plans d’action de prévention », l’obtention d’assurances contractuelles de la part des partenaires commerciaux directs et la vérification ultérieure de la conformité. Au-delà de leurs propres opérations, les entreprises couvertes par la directive devront faire preuve de diligence raisonnable en ce qui concerne les activités de toutes les entités de leur chaîne de valeur avec lesquelles elles entretiennent des relations commerciales directes et indirectes.
Les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 150 millions d’euros devront également élaborer un plan pour s’assurer que leur stratégie commerciale est compatible avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C, conformément à l’Accord de Paris. Les entreprises qui considèrent le changement climatique comme « un risque principal pour leur activité ou un impact principal de leur activité » devront inclure des objectifs de réduction des émissions dans leurs plans d’entreprise.
En particulier, la proposition de la Commission prévoit une responsabilité de haut niveau en matière de développement durable. Les administrateur.rice.s des entreprises de l’UE seraient responsables de la mise en place et de la supervision de la mise en œuvre du devoir de vigilance, ainsi que de son intégration dans la stratégie de l’entreprise. À l’obligation fiduciaire d’agir au mieux des intérêts de l’entreprise, à laquelle les administrateur.rice.s sont déjà soumis.e.s, la directive ajoute l'obligation de prendre en compte des droits humains, le changement climatique et les conséquences environnementales des activités de l’entreprise.
La Commission pourrait publier des lignes directrices pour certains secteurs ou des impacts négatifs spécifiques en consultation avec les États membres et les parties prenantes, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Agence européenne pour l’environnement et, le cas échéant, avec des organismes internationaux ayant une expertise en matière de vigilance.
En ce qui concerne le devoir de vigilance, la directive s’aligne sur les principales normes internationales en matière de droits humains et de droit de l’environnement. Toutefois, elle ne couvre que les droits et interdictions spécifiquement énumérés dans la liste en annexe de la proposition, ainsi que les risques prévisibles en matière de droits humains. La liste en question comprend une série de droits du travail, l’interdiction de toute ingérence dans la liberté de pensée, de conscience et de religion, ainsi que le droit à la liberté syndicale, de réunion, d’organisation et de négociation collective. Bien que la liberté d’expression ne soit pas explicitement mentionnée, on peut supposer qu’elle relève du devoir de vigilance de tout média, compte tenu de son contexte opérationnel.
La liste comprend également certaines violations du droit international de l’environnement concernant, par exemple, le traitement, la collecte, le stockage et l’élimination des déchets, ou l’utilisation de ressources biologiques susceptibles d’avoir des effets néfastes sur la biodiversité. Les entreprises de plus de 500 salarié.e.s ayant un chiffre d’affaires d’au moins 150 millions d’euros devront également s’assurer que leur modèle de développement et leur stratégie sont compatibles avec la transition vers une économie durable et avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C, conformément à l’Accord de Paris. Les entreprises qui ont ou devraient avoir considéré le climat comme un risque principal pour leur activité ou comme un facteur ayant un impact principal sur leurs activités devraient définir des objectifs de réduction de leurs émissions dans leurs plans d’entreprise.
Il convient de noter que la directive ne couvre pas l’ensemble des normes en matière de durabilité ou de gouvernance environnementale et sociale (ESG), qui comprennent, par exemple, des considérations relatives à la diversité et à l’inclusion ou à la lutte contre la corruption.
La directive sera mise en œuvre au niveau des États membres. La Commission propose trois mécanismes d’application : la supervision et les sanctions administratives ; la responsabilité civile ; et les incitations financières.
Une partie de la directive CSDDD serait mise en œuvre au travers des lois existantes des États membres. Par exemple, la directive ne prévoit pas de régime d’application supplémentaire en cas de manquement, par les administrateur.rice.s, aux obligations leur incombant au titre de cette directive. Toutefois, les États membres devraient modifier leurs lois et règlements sur les obligations des administrateur.rice.s afin d’y ajouter la prise en compte des droits humains, du changement climatique et des conséquences environnementales à leurs obligations fiduciaires existantes. Cela entraînera diverses conséquences dans le cadre du droit national des sociétés. Par exemple, les actionnaires auraient la possibilité de poursuivre en justice les administrateur.rice.s contrevenant à cette obligation fiduciaire. La directive pourrait même accroître le risque de litiges stratégiques liés au développement durable, qui est devenu une préoccupation grandissante pour les entreprises.
La directive a été proposée par la Commission en février 2022. En décembre 2022, le Conseil européen a parachevé son orientation générale, qui propose de restreindre le champ d’application aux seules entreprises de l’UE employant plus de 1 000 personnes et réalisant un chiffre d’affaires net mondial de 300 millions d’euros, ainsi qu’aux entreprises des pays tiers réalisant un chiffre d’affaires net de 300 millions d’euros dans l’UE. En revanche, les eurodéputé.e.s, dont la position sur la question est toujours en suspens, semblent enclin.e.s à étendre, plutôt qu’à restreindre, le champ d’application de la directive à un plus grand nombre d’entreprises.
Le Conseil a également rejeté la proposition de la Commission selon laquelle le devoir de vigilance devrait relever du devoir de diligence fiduciaire des administrateur.rice.s, avançant qu’au contraire, les processus liés au devoir de vigilance devraient être intégrés dans les systèmes de gestion des risques et les politiques des entreprises. Il a également supprimé la proposition initiale de fonder la rémunération variable sur les contributions des administrateur.rice.s au développement durable. À l’inverse, les eurodéputé.e.s pourraient être enclin.e.s à élargir le champ des questions environnementales pour y inclure davantage d’obligations liées à la nature et à la biodiversité, ainsi que des objectifs climatiques.
La directive devrait faire l’objet de discussions en trilogue dans le courant de l’année 2023, en vue de son adoption d’ici à 2024. Les règles qui y figureront ne seront pas applicables avant 2025 au plus tôt.
De nombreux MSP ne seront pas couverts par la directive parce que ce sont des entités publiques. Bien qu’ils ne soient pas tenus de mettre en œuvre des procédures liées au devoir de vigilance, les Membres pourraient néanmoins être concernés en raison de leurs relations d’affaires directes ou indirectes avec des entreprises soumises à la directive. Concrètement, les entreprises entrant dans le champ de la directive et traitant avec les MSP peuvent leur demander des garanties contractuelles et vérifier ensuite leur conformité.
Les Membres peuvent également choisir d’instaurer des procédures facultatives en matière de devoir de vigilance. En matière de développement durable, ce devoir de vigilance pourrait devenir une pratique commerciale courante dans le secteur des médias. Les considérations sociales et environnementales deviennent un élément essentiel des décisions des consommateur.rice.s. Se sentant eux-mêmes dépassé.e.s ou impuissant.e.s, quantité de citoyen.ne.s se tournent vers les entreprises et les organismes publics pour que ceux-ci prennent l’initiative en matière de changement climatique. [1] Les MSP ont la possibilité de renforcer leur légitimité et la confiance de leur public en étant aux avant-postes de ces enjeux. Par ailleurs, les violations des droits humains ou du droit de l’environnement résultant d’un manque de diligence raisonnable risquent de nuire considérablement à la réputation des MSP, à leurs relations avec le public et leurs partenaires, ainsi qu’à leur pouvoir de demander des comptes à d’autres parties.